Introduction

Pourquoi (un guide sur) des bonnes pratiques pour un dépistage inclusif?

Mise en contexte

Dans le cadre de la première édition du DépistaFest en 2021, la campagne de dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) du Club Sexu, nous avons sondé notre communauté afin de savoir ce qui pourrait améliorer son accès aux services de dépistage des ITSS et son expérience avec ceux-ci. Parmi les facteurs facilitant le dépistage, l’accès à des services inclusifs, respectueux et sécuritaires est ressorti à de multiples reprises.

À la suite de l’analyse des réponses au sondage et d’une revue de la littérature scientifique, nous avons constaté qu’il existe des disparités dans l’accès aux services de dépistage des ITSS. En effet, certaines personnes, en fonction de caractéristiques sociales et identitaires, éprouvent des difficultés à accéder à des services de dépistage sécuritaires, accessibles et respectueux. L'élaboration des pratiques présentées dans ce guide vise ainsi à mieux desservir ces populations clés, qui sont plus susceptibles de rencontrer diverses barrières d’accès au dépistage.

Les populations clés pour ce guide

Les personnes des communautés 2SLGBTQIA+ qui évitent les services de dépistage des ITSS le font par anticipation de vivre de la stigmatisation et des microagressions dans le milieu médical et de la santé sexuelle, ainsi que de devoir éduquer leurs professionnel·le·s de la santé (Scruton et al., 2015; Wilkerson et al., 2011). 

Les personnes grosses évitent souvent les situations de stress liées au poids, comme celles associées aux soins de santé sexuelle et du dépistage des ITSS en raison d’interactions grossophobes vécues ou anticipées (Gordon et al., 2016). Pourtant, plus d’une personne sur deux est considérée en surpoids au Canada (Statistique Canada, 2018). 

Les personnes en situation de handicap et neuroatypiques ressentent souvent qu’on les infantilise, qu’on les réduit au statut de victimes et qu’on suppose qu’elles n’ont pas d’activités sexuelles ou n’en désirent pas, en raison de plusieurs préjugés et stéréotypes qui nuisent aux services de dépistage. Elles se sentent souvent invalidées et ressentent une culpabilité à demander de l’aide, ce qui peut fortement les décourager à utiliser des services comme le dépistage et les rendent plus à risque de contracter une ITSS (Brennand et Martino, 2022).

Les personnes racisées et migrantes ont plus difficilement accès au dépistage des ITSS à cause de la discrimination sociale et culturelle, des barrières linguistiques et des préjugés de la part des prestataires de soins, mais aussi de l’ethnocentrisme de nos croyances et de nos standards en termes de dépistage (Agence de santé publique du Canada, 2015).

Les personnes qui exercent le travail du sexe évitent souvent les cliniques de dépistage par anticipation de stigmatisation et de discrimination de la part du personnel de la clinique, ce qui les rend à risque d’avoir une ITSS non diagnostiquée et d’encourir des complications de santé (INSPQ, 2013).

Objectifs de ce guide

Ce guide vise à :

  • Mieux comprendre l’importance d’adopter des pratiques inclusives de dépistage des ITSS;

  • Réfléchir aux attitudes, comportements, propos et aménagements qui peuvent poser des barrières au dépistage des ITSS;

  • Fournir des pistes d’amélioration et des exemples concrets de pratiques inclusives à adopter dans le dépistage des ITSS.

À qui s'adresse ce guide et comment le lire

Notre guide s’adresse à l’ensemble du personnel – que ce soit le personnel soignant, le personnel du service à la clientèle ou les gestionnaires – des cliniques, des centres de dépistage ou de tout autre milieu offrant des services de dépistage des ITSS.

Pour vous aider à cibler le contenu correspondant à vos interventions, les recommandations de pratiques inclusives ont été divisées en cinq sous-sections selon leur champ d'application dans la section Comment offrir un dépistage plus inclusif :

La dernière section du guide présente les spécificités de chacune des populations clés ainsi que des ressources communautaires et des lectures pour assurer une formation continue et plus approfondie. Une sous-section concerne également les enjeux particuliers pour le dépistage du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) auprès de personnes considérées à risque d’infection.

Pourquoi (un guide sur) des bonnes pratiques pour un dépistage inclusif?

Se faire dépister peut être synonyme de stress, de microagressions et d’anticipation d’une expérience négative pour plusieurs personnes, en particulier pour les populations clés identifiées précédemment. Celles-ci ont tendance à éviter, retarder ou annuler leur rendez-vous de dépistage pour ne pas vivre une situation d’inconfort. Le manque d’accès à des soins de santé sexuelle sécuritaires, inclusifs et sans jugement pose un risque supplémentaire d’avoir une ITSS non diagnostiquée (CPHA, 2017), ce qui augmente les risques de propagation et crée un enjeu de santé publique.

En offrant un espace confortable et non stigmatisant, on favorise l’utilisation des services de santé – comme les services de dépistage – et l’adoption de stratégies de prévention des risques en santé sexuelle. Les personnes sont alors plus susceptibles d’utiliser les services de dépistage en amont au lieu d’attendre au dernier moment ou à l’apparition de symptômes pour se faire dépister (CPHA, 2017). 

En fait, les pratiques inclusives sont aussi essentielles pour encourager la prise de décisions sécuritaires et la prise en charge de sa santé sexuelle; elles permettent de diminuer les barrières au dépistage et d’offrir un espace sécuritaire pour que les personnes abordent leurs interrogations et répondent avec transparence aux questions essentielles à la prescription des bons tests à administrer (CPHA, 2017). 

Adopter des pratiques pour rendre les services de dépistage inclusifs permet donc :

  • D’offrir un espace sécuritaire et confortable;

  • De favoriser l’accès aux services de dépistage et la prévention de la transmission des ITSS;

  • D’offrir les mêmes opportunités en matière de santé sexuelle à tout le monde;

  • De respecter le Guide québécois de dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2019) qui stipule qu’il est de la responsabilité des prestataires de soins de mettre en place des pratiques qui favorisent l’accès au dépistage pour tout le monde. 

Cadre théorique du guide

Intersectionnalité

Le terme « intersectionnalité » a été élaboré par la juriste et professeure américaine Kimberlé Crenshaw en 1989. La théorie de l’intersectionnalité s’intéresse aux façons dont les identités sociales d’une personne, comme le genre, la classe sociale, l’âge, la race, la couleur, la religion, l’orientation sexuelle, etc. interagissent pour forger son expérience (Bowleg, 2012; Collins, 2000; Crenshaw, 1989). Le positionnement d’une personne à l’intersection de ces différentes identités sociales reflète les systèmes interdépendants de privilèges et d’oppressions.

Cette théorie implique qu’une personne peut se situer à l’intersection de plusieurs oppressions/privilèges, et que les interactions entre les axes résultent en des combinaisons multiples et propres à chaque personne.

Parmi les systèmes d’oppressions [1], on retrouve notamment :

  • le racisme [2]

  • le capacitisme [3]

  • le cishétérosexisme [4]

  • la grossophobie [5]

Dans l’accès aux soins de santé, les systèmes d’oppressions et de privilèges créent des inégalités sociales et des discriminations dans l’expérience de la personne. Prenons par exemple l’axe de la capacité physique : une personne qui n’a aucun handicap a plus de privilèges dans notre société qu’une personne qui a un handicap physique et qui ne peut pas accéder physiquement à une clinique de dépistage, ou qui ne peut pas circuler adéquatement dans une clinique en raison de l’aménagement.

Approche centrée sur la personne

Adopter une approche inclusive intersectionnelle ne signifie pas mettre l’accent sur les caractéristiques sociales de la personne. Au contraire! Pour une intervention inclusive, le point de départ est chaque individu : il faut considérer ses particularités, sans le réduire à une seule catégorie sociale.

C’est pourquoi il est important d’adopter des pratiques générales plutôt que de modifier ses comportements en fonction d’une identité sociale ou d’une oppression que l’on croit percevoir chez quelqu’un. 

Ainsi, dans une perspective intersectionnelle, notre guide reconnait :

  • Qu’il existe des enjeux de pouvoir ayant un impact sur la santé sexuelle des individus (INSPQ, 2013); 

  • Que les normes présentes dans la société produisent des hiérarchies qui positionnent certaines personnes comme marginales et minoritaires, ce qui peut engendrer des inégalités au quotidien et dans la pratique des soins. En ce sens, nous utilisons le terme « diversité » pour considérer les vécus particuliers mis en marge de la norme et souligner les inégalités d’accès au dépistage qui en découlent. Cependant, le terme  « diversité » ne devrait pas être utilisé pour effacer les dynamiques de pouvoir ou pour marquer une différence entre des individus jugés normaux et différents. Chaque individu est différent et fait ainsi partie de la diversité; 

  • Qu’une personne peut se situer à l’intersection de plusieurs catégories sociales et en subir les oppressions, et que chaque identité doit être considérée comme potentiellement en interaction avec d’autres;

  • Qu’il faut encourager l’utilisation d’une approche centrée sur la personne, qui prend en compte les circonstances, ses expériences, ses besoins, ses objectifs et ses valeurs pour s’assurer qu’elle est traitée avec dignité et respect (Agence de santé publique du Canada, 2021).

Ce guide s’inscrit également dans une démarche d’apprentissage et d’humilité. Le Club Sexu et ses partenaires ne visent pas à réprimander qui que ce soit, mais bien à offrir des outils réflexifs pour améliorer la compréhension et la mise en application de pratiques inclusives dans les services de dépistage [6]. De même, nous croyons que l’inclusion évolue au fil des avancées sociales et nous souhaitons que cette ressource forme un document vivant qui puisse être amélioré. Ainsi, si vous avez des suggestions, des commentaires constructifs ou des pistes de réflexion pour l’amélioration de ce guide, nous vous invitons à nous écrire à morag@clubsexu.com.

1. Les systèmes d’oppressions et de privilèges présentés sont ceux que nous avons identifiés pour favoriser la compréhension de notre guide, mais il en existe plusieurs autres.

2. Le racisme est un système d’oppression basé sur l’idéologie qu’il existe des hiérarchies entre les groupes humains, catégorisés en races. Le racisme structure nos sociétés en privilégiant les membres de certains groupes au détriment d’autres groupes, à travers des attitudes, préjugés, comportements et structures mis en place. Le racisme donne lieu à des oppressions, mais aussi à de l’ethnocentrisme, soit la croyance que notre groupe ethnoculturel est la norme universelle et le cadre de référence. L’ethnocentrisme pose problème lorsqu’il impose systématiquement une norme culturelle au détriment d’autres groupes culturels qui sont invisibilisés ou stigmatisés pour déroger de cette norme.

3. Le capacitisme est un système discriminatoire qui structure la société selon la capacité des individus à y participer, en fonction de leurs capacités physiques, physiologiques, psychologiques ou neurologiques. Ce système crée une dualité entre validité et invalidité, et positionne les personnes sans handicap comme la norme valide, et conséquemment, les personnes en situation de handicap comme norme invalide. Le capacitisme regroupe les attitudes et les pratiques discriminatoires, les préjugés et les stéréotypes à l’égard des personnes en situation de handicap, qui ont des limitations physiques ou qui sont neuroatypiques, ainsi que les barrières physiques dans l’environnement. Il peut s’exercer de manière consciente ou inconsciente.

4. Le cishétérosexisme est l’imbrication de l’hétérosexisme et du cissexisme. L’hétérosexisme est la croyance que les personnes hétérosexuelles sont la norme valide, primaire et à privilégier. Le cissexisme, près de l’hétérosexisme, est la croyance que les personnes cisgenres (dont le sexe assigné à la naissance concorde avec leur genre) sont la norme et vivent leur genre de la manière appropriée. On suppose donc par défaut qu’une personne est hétérosexuelle et cisgenre jusqu’à preuve du contraire. Cela est problématique en contexte de dépistage des ITSS, car on ne peut pas présumer des organes génitaux, des pratiques sexuelles ou de l’identité sexuelle et de genre d’une personne en se basant sur son apparence. De même, il est important de ne pas présumer qu’une personne a plus de partenaires ou qu’elle s’adonne à des pratiques sexuelles plus à risque en raison de son orientation sexuelle.

5. La grossophobie est l’ensemble des attitudes, préjugés et comportements qui discriminent et stigmatisent les personnes grosses, en surpoids ou obèses. La grossophobie se manifeste généralement par la croyance que les corps gros doivent être disciplinés et corrigés, et qu’ils sont un fardeau pour la société. La grossophobie est souvent justifiée par des préoccupations pour la santé, le maintien d’un poids mince et l’impact présumé du poids de la personne sur sa vie et sa sexualité.

6. Malheureusement, les enjeux d’inclusion ne sont pas toujours abordés dans les formations spécifiques au dépistage des ITSS, ce qui peut pousser à croire que les populations clés présentées dans ce guide ne représentent qu’une petite partie de la patientèle, et à ne pas connaitre les enjeux d’accès au dépistage qui leur sont propres.

En réalité, l’invisibilisation des réalités des populations clés et le manque d’accessibilité et d’espaces sécuritaires pour aborder leur expérience contribuent à créer l’illusion que ces personnes ne fréquentent pas ou peu les services et que leurs réalités ou besoins particuliers sont rares, et donc à les négliger. C’est ce manque de ressources spécifiques pour faciliter l’adoption de pratiques inclusives dans les milieux de dépistage des ITSS qui nous a poussé à bâtir ce guide.

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